Sur les traces d'aristocratie en Tunisie - Le Mag Voyageurs du Monde

Tunisie

Sur les traces d'aristocratie en Tunisie

Publié 08 août 2014

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A l’initiative de Slim Zeghal et Marco Berrebi, six photographes tunisiens – Sophia Baraket, Rania Dourai, Wissal Dargueche, Aziz Tnani, Hichem Driss et Hela Ammar – ont parcouru le pays pour photographier 100 personnes représentant la diversité de la population avant d’afficher ces portraits dans les rues tunisiennes. Pour un pays qui, depuis plus de 50 ans, n’avait exposé publiquement que l’image présidentielle, ça fait une différence !

 

Le 17 décembre 2010, Mohamed Bouazizi, un jeune vendeur de légumes de Sidi Bouzid, se voit confisquer sa charrette et sa balance qui étaient ses outils de travail. Désespéré, il s’immole par le feu devant le gouvernorat. Cet acte devient le point de départ d’un grand mouvement de protestation à travers le pays. Malgré la répression qui fait près de 300 morts, le peuple tunisien continue à manifester pacifiquement. Devant l’ampleur du mouvement, Ben Ali et sa famille s’enfuient le 14 janvier 2011. C’est la fin d’une très longue période durant laquelle un peuple entier était réduit au silence. Un gouvernement provisoire est nommé, des élections se préparent, le peuple est partagé entre l’espoir d’être enfin maître de son destin et la peur de voir la révolution accoucher d’un nouveau pouvoir autoritaire.

 

Le photographe JR en train de sauter

 

C’est dans ce contexte que s’organise Artocratie en Tunisie, le premier grand projet d’art urbain du monde arabe. Initié par des Tunisiens qui font appel à JR, tout est rapidement défini : il s’agit tout d’abord de sillonner le pays de Sejane à Tataouine, de Nabeul à Douz pour établir un ensemble de  portraits représentant la diversité de la population : hommes ou femmes, jeunes ou vieux, pauvres ou riches, grands ou petits, fonctionnaires, chômeurs, chefs d’entreprises, ouvriers, paysans... Puis de coller ces portraits en grands formats dans les villes tunisiennes, et en particulier au centre des villes ou le dictateur déchu avait imposé son image, éternellement jeune et souriante, à une population écœurée par l’omniprésence de celui qu’elle considérait comme un vulgaire pilleur de la richesse nationale.

 

JR vu de dos

 

Tout avait l’air simple. L’Espagne après Franco avait vécu la Movida, l’Allemagne de l’Est après la chute du mur avait connu une période d’effervescence artistique, et on pouvait s’attendre à ce qu’il en soit de même en Tunisie. Ce ne fut pas le cas. En effet, dès les premiers jours, nous avons rencontré des difficultés qui nous ont rappelé que notre pari n’était pas gagné d’avance. Le vent de liberté pouvait aussi emporter nos affiches. C’est à La Goulette, à une dizaine de kilomètres de Tunis que le projet démarre. Cette petite ville a longtemps évoqué la cohabitation entre les communautés. En effet, au début du XXe siècle, les populations musulmanes tunisiennes, juives tunisiennes, catholiques françaises et catholiques italiennes y vivaient ensemble en harmonie. Les Goulettois étaient alors modestes, cosmopolites et solidaires. La ville avait changé et depuis quelques années, le dictateur avait attribué la mairie à un de ses neveux qui voulait accélérer le rythme des constructions pour transformer la ville.

 

JR en train de coller

 

Nous devions coller la mosaïque de portraits à l’endroit où trônait celui du dictateur déchu, sur la Carraca, le fort construit par les Espagnols puis agrandi par les Turcs au XVIe siècle. Mais, tout à été très vite et sous l’impulsion de quelques agitateurs, la foule qui assistait au collage s’est retournée contre l’équipe et il a fallu battre en retraite. C’est là que JR a découvert le poste de police. Il avait été brulé par les manifestants pendant la révolution. Avec son carrelage en céramique, il ne ressemblait pas vraiment à un commissariat. A l’intérieur, il y avait des milliers fiches de police remplies consciencieusement par les fonctionnaires de « l’ancien régime » sur le sol et dans les tiroirs, avec sur chacune la photo et les informations recueillies par les policiers. Les insurgés en colère avaient mis le feu au commissariat, mais ils n’avaient pas emporté les fiches cartonnées, persuadées que les informations sur les autres et sur eux-mêmes n’avaient aucune valeur. C’est donc ici que JR et les « Artocrates » ont collé leurs portraits et noir et blanc de femmes et d’hommes souriants ou inquiets.

“Sans violence, avec le sourire, les artistes collaient des affiches que d’autres retiraient au même rythme tout en débattant de l’utilité de l’art dans un contexte révolutionnaire.”

Aux difficultés de la Goulette ont suivi celles de Tunis où des témoins disaient, en plaisantant à moitié, que si la démocratie permettait aux uns de coller des portraits sur les murs, elle permettait aussi aux autres de les arracher librement. Sans violence, avec le sourire, les artistes collaient des affiches que d’autres retiraient au même rythme tout en débattant de l’utilité de l’art dans un contexte révolutionnaire. La solution s’imposa alors à tous. Il fallait aller à Sidi Bouzid, là ou tout avait commencé et se frotter à ceux qui avaient pris tous les risques pour faire tomber la dictature, ceux dont on nous avait dit qu’ils étaient les durs du pays. Et là, ce fut magique. Les jeunes vinrent coller avec nous, nous apporter du café, de l’eau et des petits gâteaux pour que nous puissions continuer à coller ensemble. Et ils finirent par nous faire un beau cadeau. Ils nous amenèrent sur le terrain vague où avaient brûlées les premières camionnettes de police et nous aidèrent à les réunir pour en faire une œuvre d’art. Dès lors, tout devint plus simple. Lorsque deux ans plus tard, nous sommes revenus en Tunisie, l’atmosphère était différente. A l’euphorie brouillonne du début avait succédé le découragement, puis l’espoir. L’urgence de l’action avait laissé la place à la recherche de la stabilité et du confort. JR a voulu cette fois coller une main de femme, une main qui caresse, qui nourrit et qui frappe parfois, en hommage aux actrices de la révolution qui avaient par leurs gestes invité le dictateur à quitter le pays et signifié à tous ceux qui voudraient leur faire jouer un rôle accessoire dans la société qu’elles ne se laisseront pas faire.

 

Photographie de JR

 

Nous sommes au début d’une formidable ère de changement, nous vivons ces mutations en direct, mais à distance. Nos télévisions, nos radios nous informent de ce qui se passe, mais sur place, nous partageons le même air, nous vivons aux cotés de ceux qui écrivent l’histoire du XXIe siècle. Les voyageurs étaient et restent bienvenus en Tunisie. Les gouvernements changent mais l’accueil des étrangers reste une priorité économique et une tradition nationale. Dans tous le pays, les habitants sont heureux de présenter leurs trésors historiques, les ruines romaines de Carthage, la Mosquée de la Zitouna ou celle de Kairouan, la Cathédrale Saint-Vincent-de-Paul, la synagogue de La Ghriba ou l’amphithéâtre d’El Jem. On y mange très bien, que l’on choisisse les restaurants huppés des quartiers résidentiels ou des bords de mer ou les endroits populaires où on peut manger des fricassés, des bricks à l’œuf ou des sandwichs au thon. Fondamentalement, les Tunisiens ont le goût des bonnes et des belles choses et savent le faire partager. Sous l’ancien régime, les touristes venaient peupler les plages de Gammarth, Hammamet ou Djerba sans vraiment se poser de questions sur la situation réelle du pays. Aujourd’hui, les voyageurs peuvent vraiment visiter la Tunisie, choisir des hébergements de charme, se promener dans la Medina de Tunis, sentir l’histoire en marche, discuter librement avec les taxis ou les commerçants, sans naïveté, sans concession sur nos valeurs mais avec bienveillance.

 

JR

Avec un appareil photo trouvé dans le métro, JR tire ses premiers portraits, ceux de jeunes de banlieue parisienne, en 2005. Deux ans plus tard, épaulé par Marco, il lance Face2face, une tentative de rapprochement israélo-palestinien par l’image. Aujourd’hui, JR continue  de dérouler aux yeux du monde ses portraits géants, un art sans barrière, sur fond d’humanité.

 

 

Par

MARCO BERREBI

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