Grain d’île volcanique posé en mer de Chine, au sud de la péninsule coréenne, l’île sauvage de Jeju est devenue en l’espace de vingt ans, un pôle magnétique de l’art et de l’architecture.
Le Japon a Naoshima, la Corée du Sud a Jeju. Entre les forêts de pins, les orgues de basalte et les champs de sarrasin, cette île d’à peine mille kilomètres carrés a vu sortir de sa terre volcanique sacrée un étonnant laboratoire d’art et d’architecture contemporaine. En 1992, l’architecte Tadao Ando signait sur l’île japonaise le désormais célèbre Benesse House Museum, basé sur “la coexistence entre nature, art et architecture”. Vingt ans plus tard, il récidivait à Jeju, avec le Bonte Museum, dans lequel pousserait bientôt, là aussi, une citrouille géante de l’artiste Yayoi Kusama. Sur cette île mystérieuse cohabite désormais une profusion de lieux culturels, des plus anecdotiques (musées du chocolat ou de l’ours en peluche) aux plus émouvants tel le mémorial du 4.3 Peace Park, hommage aux victimes du soulèvement de 1948-49. Autre lieu poétique, le musée dédié au Coréen Kim Tschang-yeul (1929-2021), dans les montagnes de Jeoji-ri, lien architectural entre l’œuvre du plasticien, basée sur les gouttes d’eau, et les paysages ruisselants. Réalisée par l’agence séoulite Archiplan, la structure fait écho au travail de Ando.
Comme un phoenix
À la pointe est de l’île, le Pritzker 1995 a frappé de son sceau la péninsule de Seopjikoji. Là, au cœur d’un surprenant complexe nommé Phoenix, toute l’Asie vient se dire oui, se dorloter, de la suite au spa, face au cône volcanique du Seongsan Ilchulbong, étiré entre vagues et ciel. Ando y signe trois réalisations emblématiques. La première, nommée Genius Loci, “l’esprit protecteur”, est une salle de méditation. Lignes épousant le relief, murs flanqués de cascades, patios où le vent fait chanter les herbes folles.
En deuxième rideau, la Yumin Art Nouveau Collection abrite cinquante pièces ayant appartenu à un magnat de la presse coréen passionné par les maîtres verriers de l’École de Nancy : les frères Daum, Eugène Michel et Émile Gallé, dont la célèbre “lampe champignon” constitue le centre de l’exposition. La conversation entre Tadao Ando et la nature brute de Jeju rythme la visite, les perspectives changent selon l’humeur du ciel et sa lumière.
Juste à côté, pas n’importe où, la Glass House, papillon de verre cubique et troisième acte du Japonais, déploie ses ailes et plane sur des jardins suspendus. Toujours au Phoenix, un autre pape de l’architecture contemporaine, le Suisse Mario Botta, a posé sous une pyramide tronquée de métal et de verre une agora où chuchotent les courants d’air. Un calme paradoxal au succès de Jeju, longtemps secret bien gardé de la haute société de Séoul, désormais reliée par 250 vols quotidiens, un record mondial. Ce boom touristique s’accompagne de projets immobiliers que l’île tente de canaliser via de grands architectes et de jeunes studios coréens.
Young-Ah Kim
Sous les pierres de lave
Au Lotte Jeju Art Villas, le Français Dominique Perrault tresse de fer blanc un quartier tout en rondeurs, tentative de dialogue avec les cubes austères voisins du studio séoulite DA Group, quand les façades en bois du Japonais Kengo Kuma s’enfouissent sous les pierres de lave. Plus à l’ouest, le Japonais d’origine coréenne, Itami Jun (1937-2011) a déposé sur l’eau une église, comme une arche miroitante, tandis qu’au nord, les villages côtiers livrent la réinterprétation des maisons traditionnelles chojip : ici un dôme de zinc aux allures de cétacé (le Blind Whale de l’agence Z_Lab), là une librairie-bateau (Slowboat Atelier) et son équipage de chats, ici encore une cabane de pêcheurs muée en café roman[1]tique (The Poet’s House) signée de l’architecte local Yang Gun, ouvrant grand sur la mer. Des lignes contemporaines comme autant d’odes aux traditions vernaculaires et à la force naturelle de Jeju.
Young-Ah Kim
Photographie de couverture : iremonat/Pexels