Publié 02 oct. 2019
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Meubles, luminaires et objets des années 1920 à 1980 connaissent un retour en grâce. Du style impérial stalinien au constructivisme, le design soviétique enflamme collectionneurs et musées, quand il n’inspire pas les créateurs et nos intérieurs.
Il fut une époque où les caves et les greniers, parfois même les poubelles, débordaient de ces objets du quotidien – mobilier, vaisselle, électroménager, articles de sport et jouets d’enfants – produits durant l’ère soviétique et mis au rebut à la fin des années 1990, après l’effondrement de l’URSS. Une façon supplémentaire d’enterrer les vieux démons. Imaginez alors la stupeur lorsque l’historienne du design Alexandra Sankova, trentenaire diplômée de l’académie d’Art et d’Industrie Stroganov, décide de collecter ces reliques à travers tout le territoire. “Quand j’ai commencé, mon père était horrifié : ‘On a jeté tout ça, et toi tu rapportes tout’”, confiait-elle au journal Le Monde en octobre 2018. Sans aucun cynisme, la jeune femme entend pourtant recomposer une page d’histoire soviétique souvent effacée de la mémoire collective. “Certains musées européens possédaient quelques pièces, mais en Russie, rien n’avait été compilé, rapporte-t-elle. À chaque nouvelle ère politique, notre nation avait tendance à faire table rase du passé.”
Trois cents objets plus tard, en 2012, Alexandra Sankova cofonde et dirige le Musée du Design à Moscou, un projet éducatif itinérant à travers la ville, doublé de multiples expositions en Russie, mais aussi à Berlin, Londres, Bruxelles. Travail de fourmi, enrichi régulièrement de collections personnelles afin de mieux retracer la grande histoire du design (mot interdit jusqu’à la fin de la Perestroïka) en URSS, de 1917 à nos jours. Les spécialistes – historiens, curateurs et collectionneurs -, de plus en plus nombreux à s’intéresser à ces objets, distinguent trois grandes périodes : le constructivisme des années 1920-1930, la période soviétique de 1950 à 1980 et le design contemporain de 1990 à nos jours.
À Moscou, la galerie Heritage, désormais habituée des grandes messes du design, de Miami à Basel, expose des pièces rares. Là, une bibliothèque en chêne de 1938, gravée de la faucille et d’épis de blé, ornée du portrait du président de l’époque, Mikhaïl Kalinine. Un exemple parmi d’autres – chaises, tables et canapés – réalisés par le sculpteur Igor Krestovski pour la maison-commune Pain du Communiste de Smolensk. Un style imposant, développé avec la ferme volonté d’instaurer le sentiment de fierté des bâtisseurs du communisme. Ce virage idéologique signe le glas de l’avant-garde russe des années 1920, pensé notamment dans les Ateliers supérieurs artistiques et techniques de Moscou, les Vkhoutemas, selon le souhait de Lénine d’industrialiser la création. À la fin des années 1920, apparaissent également les clubs ouvriers – des centres communautaires éducatifs et de propagande – commandés à l’architecte phare du constructivisme, Constantin Melnikov. Aujourd’hui, les collectionneurs recherchent frénétiquement le mobilier de ces ateliers qui, à leur grand désespoir, a majoritairement disparu avec les lieux de cette période. La Maison du gouvernement, construite face au Kremlin en 1931 afin d’accueillir les fonctionnaires rapatriés de Saint-Pétersbourg, en est un autre exemple.
L’agencement intérieur réalisé par l’architecte Boris Iofan fut purement abandonné avec l’immeuble lors des grandes purges staliniennes qui envoyèrent ses occupants au goulag. Réhabilités à la fin de la Perestroïka, les appartements furent vidés de leurs meubles par les nouveaux propriétaires, pressés de se débarrasser de ces mauvais souvenirs. En 1955, Khrouchtchev engage “l’élimination des excès de la construction” et transforme l’habitat en imposant les “khrouchtchevki”. Ces logements de masse exigus obligent à repenser le design des meubles (ceux d’avant-guerre ne tenant pas dans les pièces). Exit le bois massif : ses dérivés, associés au métal, au plastique et au tissu, prennent les commandes d’un nouveau style, inspiré du constructivisme mais ramenés à l’échelle humaine. Les pieds de lampes s’affinent, les canapés s’allègent, la sobriété reste de mise et rappelle parfois celle des voisins scandinaves à la même époque. En parallèle, les “artistes-constructeurs” désignés par l’État créent des objets simples et à faible coût de production destinés à alimenter un marché de masse.
Parmi les objets cultes présentés par le Musée du Design (et réunis dans un livre, Made in URSS, disponible en français aux éditions Phaïdon) : le transistor Spidola d’Adolf Irbitis (un succès tel que la marque désignera l’objet), la machine à coudre Tula, inspirée d’un modèle allemand ; l’aspirateur Sputnik (qui mutera en Saturn), symbole de la conquête spatiale, ou encore l’appareil photo Zenit-E, produit à plus de 8 millions d’exemplaires dans les années 1960, devenu quarante ans plus tard, l’accessoire indispensable de tous les hipsters russes. Loin d’être une hype phénomène, le retour en grâce du design russe, quelle que soit la période, connaît une ampleur grandissante. Célèbre avocat moscovite, Alexander Dobrovinsky confirme avec vingt-deux collections et 40 000 pièces. Parmi elles : un tapis de 1924 à l’effigie de Lénine, une écritoire ayant appartenu à Staline, des fauteuils marqués de l’étoile communiste, un bar en aluminium dessiné par Alexandre Rodtchenko, l’un des papes de l’avant-garde et de la propagande.
Le bureau de Dobrovinsky est une mine. Ses plus précieuses collections ? Ses 500 affiches de cinéma et de propagande commerciale des années 1920-30 (certaines réalisées par Vassily Kandinsky), mais, surtout, un ensemble de laques rouges enviées par des acheteurs prêts à débourser 30 millions d’euros, soit trente fois leur valeur d’achat. Le cours du design soviétique est sur orbite. Libérés du poids de l’histoire et de ses fantômes, estimés pour leurs pures qualités esthétiques sans considérations politiques, ces objets connaissent une deuxième vie. Plus globalement, les initiatives comme celle d’Alexandra Sankova ont donné envie à une génération qui n’a pas connu les traumatismes du régime d’étudier la discipline et de la conjuguer au présent. Le design russe vintage a de l’avenir.
Les Concierges Voyageurs en Russie
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ALEXANDER ANUFRIEV
Deux choses. La première est qu’on ne peut se passer de la Russie. Quel qu’en soit le sceptre, c’est le pays de Tolstoï et Dostoïevski, d’Andreï Roublev et de Saint-Pétersbourg, du Transsibérien et du lac Baïkal. Nous en avons besoin, notre imaginaire y est lié. La seconde étant que, si voyager en Russie ne va pas de soi, ce devrait pourtant être le cas. Nous nous préparons donc à faire en sorte que, pour vous, il en soit ainsi. Dès que possible. Le moment venu, nous composerons cela avec vous, nous y metterons toute la minutie nécessaire et tout le tact. Ensuite, davaï !
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