Davantage encore qu’un pays, l’Uruguay est un état d’esprit, une lumière, une ambiance. Un endroit où il faut accepter une certaine idée de la lenteur. Dans ce petit pays d’Amérique du Sud coincé entre le Brésil et l’Argentine, pas de monument grandiloquent ou d’attraction spectaculaire mais des villes nostalgiques, des plages sauvages et une certaine idée de la vie. Balade mélancolique dans un pays confidentiel qui gagne à être connu.
Montevideo, la capitale qui ne fait pas de bruit
D’abord il y a ce nom mélodieux, intriguant : Montevideo. Comme une invitation au voyage. La légende veut qu’en arrivant à proximité, un marin portugais se soit exprimé Monte Vide eu! (J’ai vu une colline). La belle affaire ! Ensuite, il y a ces rues mélancoliques et calmes parsemées de bâtiments Art déco défraîchis, comme si la ville vivait à rebours du reste du monde. Certains comparent la capitale uruguayenne a une version miniature de Buenos Aires. Certes, les Uruguayens partagent avec leurs voisins du sud un estuaire (celui du Rio De La Plata), un accent, une certaine nostalgie et un amour inconsidéré pour l’asado et le football. Mais là où Buenos Aires propose un rythme frénétique, Montevideo semble fonctionner au ralenti. Pour s’en convaincre, il faut arpenter les rues calmes de la Ciudad Vieja, son centre historique, un concentré d’architecture européenne passée au filtre latino-américain, avec ses trottoirs cassés et ses places charmantes jamais assaillies par la foule. Direction ensuite le Cordon, un quartier traditionnel de la ville où de chouettes cafés et restaurants ont poussé depuis quelques années, puis les rues de Pocitos qui descendent doucement vers la Rambla. Là non plus, pas d’agitation, pas d’édifices impressionnants mais une atmosphère douce et des gens qui promènent tranquillement leurs chiens. Montevideo est une ville pour flâneurs appliqués. Au détour d’un coin de rue, voici la terrasse de la Otra Parrilla, une institution du quartier. À l’intérieur, des cuisiniers experts s’affairent au-dessus des braises et font danser sur le feu des viandes d’une qualité exceptionnelle. On s’attable en terrasse et on commande un steak juteux accompagné d’un bon verre de Tannat.
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Le long de la Rambla
Montevideo, c’est aussi la Rambla, cette promenade de 22 kilomètres qui longe le Río de la Plata et borde la ville. Sur ce long boulevard au fil de l’eau, Montevideo se dévoile sincère et donne sa pleine mesure. Joggeurs, retraités contemplatifs, pécheurs, skateurs mollement appliqués et footballeurs amateurs se côtoient en toute saison le long des plages de sable et des petites baies. Pocitos, Buceo, Malvin, Punta Gorda, Carrasco… Plus on se dirige vers le nord, plus le fleuve prend des allures de mer. En fin de journée, alors que le ciel devient rose, les gens s’assoient et scrutent l’horizon depuis leurs chaises pliantes. Tous ou presque portent un thermos au creux du bras et une calebasse dans l’autre main. Fétichisme étrange qui interroge le visiteur. C’est le culte du maté que l’on boit à toute heure, religieusement, entre amis ou en famille. L’Uruguay, c’est aussi cela : un peuple qui carbure à une boisson amère, partagée avec tendresse.
Colonia Del Sacramento, voyage dans le temps
C’est la plus vieille ville du pays. En 1680, les Portugais descendent depuis le port de Santos au Brésil et fondent Colonia del Sacramento, placée stratégiquement sur le Río de la Plata, juste en face de Buenos Aires et des territoires appartenant à l’Espagne. Pendant plus d’un siècle, les deux royaumes vont se disputer la ville et la dominer successivement. De ce chassé-croisé impérial est née une architecture unique, mêlant styles coloniaux portugais et espagnols. Aujourd’hui, Colonia a perdu son importance stratégique, mais elle a préservé son patrimoine. Dès que l’on franchit la porte de la Citadelle et que l’on pénètre au cœur du petit centre historique inscrit au patrimoine de l’Unesco, on est propulsé dans le passé. En fermant les yeux, on pourrait presque entendre le cliquetis des calèches sur les épais pavés. La ville a aussi hérité d’un charme fou qui séduit immédiatement n’importe qui chemine dans ses ruelles étroites, entre les maisons blanchies à la chaux. Les bougainvilliers grimpent sur les murs de pierre ; les voitures des années 50 ne sont pas des caprices de collectionneur mais des vestiges d’une routine paisible et même les rues portent des noms poétiques comme « rue des soupirs » ou « rue des fleurs ». À la tombée de la nuit, alors qu’une brise bienvenue s’engouffre dans la vieille ville, on entre dans un patio pour boire un verre ou on s’installe au Charco Bistro, pour dîner au bord de l’eau.
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De José Ignacio à Cabo Polonio, la côte sauvage
Sur 660 kilomètres de rivage, l’Uruguay allonge sa côte comme on déroule une confidence. Parmi ses secrets, plus ou moins bien gardés, il y a d’abord José Ignacio. Il y a trente ans, cette péninsule entre océan Atlantique et lagune n’était qu’un village de pêcheurs. Depuis, le bouche à oreilles a fait son effet et le charme rustique de l’endroit a opéré. Aujourd’hui, José Ignacio est devenue l’une des stations balnéaires les plus chics du continent sud-américain. Malgré le côté hype, le luxe n’est jamais ostentatoire, il est toujours bohême et simple en apparence. Ici, les maisons sont en bois brut, les hôtels les plus chics s’appellent posadas. Le chef renommé Francis Mallmann y a installé un restaurant culte dans une estancia de l’arrière-pays et un chiringuito sur la plage. On y mange de la viande grillée dans une atmosphère décontractée. Plus à l’est, en remontant vers le Brésil, l’Uruguay se démaquille. De la Paloma, un village de surfeurs et de hippies où les bars de plage servent de la bière fraîche et des beignets aux algues, jusqu’à Punta del Diablo, la côte se dévoile sauvage et venteuse. La perle du littoral uruguayen pourrait bien être Cabo Polonio, un endroit qui se mérite. Il faut d’abord s’arracher à la route et à la couverture réseau. Laisser la voiture dans un parking poussiéreux et grimper dans un 4x4 brinquebalant sur les dunes pour tomber, 7 kilomètres plus loin, sur une poignée de maisons posées face à l’Atlantique. Le jeu en vaut la chandelle pour qui souhaite une déconnexion totale. À Polonio, pas d’éclairage public ou d’électricité (hormis quelques groupes électrogènes) mais des plages superbes et des colonies de lions de mer débonnaires. Le phare, massif et solitaire, semble veiller sur ce bout du monde. Le coucher de soleil est un spectacle immanquable et, quand la nuit tombe, le ciel se pare d’étoiles qui semblent irréelles.
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El Interior, l'âme charrua
L’Uruguay est peuplé de 3,4 millions d’habitants dont près des deux tiers vivent dans le grand Montevideo. Pourtant, c’est dans les vastes prairies de l’intérieur du pays que réside une bonne partie de l’âme uruguayenne. L’identité rurale de la Republica Oriental se révèle dans ses pampas infinies, battues par les vents du sud. Les collines, les ruisseaux, les bosquets de quebrachos (arbres typiques de la région) et d’eucalyptus parsemés d’estancias fatiguées dessinent un paysage immuable que peuplent des millions de bovins encadrés par des gauchos experts à cheval. L’Uruguay compte quatre vaches par habitant, ce qui fait du pays une destination pas forcémnt idéale pour les végétariens mais un paradis pour les amateurs d’asado. La viande est d’ailleurs le pain quotidien des habitants de l’Interior. Les petites villes qui parsèment le cœur du pays respirent la monotonie, l’éloignement du monde et la viande grillée. Mais passée cette première impression, on trouve en elles le charme rural, la convivialité et le sens de la vie en communauté. De Sarandi del Yi à Salto en passant par San Gregorio de Polanco, les mêmes scènes immuables se répètent. Les vieux messieurs passent des heures à jouer aux cartes aux terrasses des cafés. Sur la place principale du bourg, on regarde le temps défiler en sirotant un maté.
Par
ARTHUR JEANNE
Photographie de couverture : Matthieu Salvaing