Rwanda

Parc national des Volcans : gorilles at home

Parc national des Volcans : gorilles at home

Ils ont survécu aux bouleversements et aux violences qui ont marqué l’histoire récente du Rwanda. En les étudiant scrupuleusement, Dian Fossey a suscité pour eux une empathie mondiale, elle en a fait de puissants symboles d’une nature à préserver. Les gorilles de montagne nourrissent et notre imaginaire et notre sens des responsabilités. Ils nous renvoient étrangement à nous-mêmes. On les découvre chez eux dans le parc national des Volcans.

 

Approches

Plan large : le Rwanda est enclavé en Afrique des grands lacs. Plan moyen : la région qui nous intéresse se situe au nord-ouest, au-dessus de la ville de Ruhengeri, district de Musanze. Plan serré : le parc national des Volcans s’étend en croissant sur la frontière avec la République démocratique du Congo et l’Ouganda, le domaine protégé se prolonge dans chacun de ces deux pays. Abordant le secteur par le sud, on voit s’élever les cônes des volcans éteints des montagnes des Virunga. D’ouest en est : Karisimbi, Visoke, Sabyinyo, Gahinga, Muhabura. C’est vert, ample, bien balancé, majestueux sans morgue et ça monte jusqu’à quatre mille cinq cents mètres. A retenir les nuages. Vert, parce qu’au-dessus des cultures, il y a la forêt tropicale, au-dessus de celle-ci, des bambouseraies très serrées, puis une forêt d’altitude moussue et enfin, à plus de trois mille cinq cents mètres, les colonnes barbelées des séneçons géants. Les pluies arrosent généreusement la région, particulièrement de mars à mai.

Singe dans un arbre au rwanda

Guenter Guni/E+

 

Gorille portier et gorilles dans la brume

Des lodges, qui s’appellent Gorilla ou Silverback quelque-chose, sont installés à Kinigi. C’est là qu’on entre dans le parc. Sur un piédestal de moellons gris, la statue d’un gorille de montagne avertit le visiteur : l’affaire implique des costauds. Derrière, sur le parking, des véhicules quelque peu crottés, ils ne sont pas tout-terrain pour rien. Parlons donc gorilles puisque c’est essentiellement pour eux que viennent les visiteurs. Les scientifiques ont nommé Gorilla beringei beringei - du nom d’un officier des troupes coloniales allemandes, Friedrich Robert von Bering, découvreur européen de l’animal en 1902 - celui qui vit ici. Dans l’ensemble des Virunga, ils seraient quelque cinq cents. Certains mâles peuvent mesurer deux mètres, mais il n’est pas nécessaire qu’ils aillent jusque là pour impressionner. Ce sont des végétariens stricts, qui trouvent à se mettre sous la dent à chaque étage de la montagne : orties, céleris, bambous, lobélies, séneçons, tout leur est bon ! Pour trouver pitance, ils se déplacent fréquemment. Force individuelle et fragilité d’une population menacée, dans le seul habitat possible pour elle, gouvernent l’intérêt que nous leur portons. Dans le périmètre de leur célébrité, on en trouve une autre, celle de Dian Fossey, l’éthologue américaine qui a étudié leur comportement ici à partir de 1963 et jusqu’à son assassinat en 1985. La tombe de l’auteur de Gorillas in the Mist se trouve à Karisoke, au pied du volcan Visoke. C’est un endroit touchant et simple, envahi par la végétation, où sont aussi enterrés certains sujets des études de la primatologue.

 

Tracking et rencontre

On ne pénètre pas dans le domaine réservé des gorilles comme dans un moulin, mais accompagné par un ranger du parc. Par groupes restreints et peu fréquents, pour une heure en présentiel et à distance lorsqu’on les a rejoint (ce qui peut prendre… un certain temps). A cela, des impératifs de sécurité, pour eux et pour leurs hôtes. La plupart des groupes rencontrés sont habitués, ce qui ne veut pas dire domestiqués ; ce sont des animaux sauvages, dont l’existence doit s’accommoder de la curiosité encadrée de lointains cousins. Ils ne s’alarment donc pas de votre survenue, mais restent sur leur quant-à-soi. Pas de ces macaques qui quémandent et chapardent. La rencontre, malgré - ou grâce à - toutes les contraintes qui pèsent sur elle, dans un coin de vert franc où tranche le noir des pelages, avec les bruits de feuilles froissées, les manifestations vocales des singes, leurs mouvements et, à tout prendre, une sorte d’aristocratique indifférence, la rencontre est inoubliable. On est partagé entre le désir de vivre le moment à plein, sans s’encombrer d’ensuite, et celui d’immortaliser. Il y a des risques de flou dans les clichés. Le photographe doit garder son sang-froid, et ce n’est pas toujours facile. Le ranger fournit à bas bruits les éléments qui permettent de comprendre un peu ce qu’on a sous les yeux. L’heure tourne. Il faut partir. On est allé au bout de quelque chose. Certains êtres ont un charisme ; pour des raisons difficiles à démêler, ils valorisent leur environnement et celui des autres. Ainsi les gorilles, qui donnent du poids à notre imaginaire et à nos inquiétudes à propos du monde dans lequel nous vivons tous. L’anophèle peut-il provoquer cela ?

voir des gorilles au rwanda

Bkamprath/Getty Images/iStockphoto

 

Gorilles, mais pas que…

Toutefois, les gorilles ne sont pas à eux seuls le parc des Volcans. Pour nous être moins proche, le cercopithèque doré n’en est pas moins un habitant distingué de ces bois. Le céphalophe à front noir est un animal charmant. Le buffle du Cap, un poids lourd à ne pas négliger. Avec ses lignes et ses taches blanches sur fond brun varié, ses cornes en lyre, le guib harnaché marque beaucoup d’élégance. L’hyène tachetée n’est peut-être pas des plus engageantes, mais elle fait partie du paysage et vaut mieux que la sale réputation qu’elle traîne. Les chances de rencontrer l’hylochère sont minces, et pourtant, il est là. En levant les yeux, le voyageur naturaliste verra l’aigle bateleur ; le tisserin baglafecht, jaune et noir ; la ravissante tourtelette améthystine ; le guêpier montagnard… C’est parmi ceux-ci que vivent les gorilles. Et on gagne à le comprendre pour le situer dans son contexte complet. Il ne faut pas courir au gorille en oubliant tout le reste. D’ailleurs, les liaisons et les marches d’approche permettent au ranger de dispenser de petites leçons de choses. En somme, les grands singes sont le révélateur d’un milieu riche et complexe, qu’ils polarisent un peu sans le vouloir. Sur le chemin du retour, on réalise à quel point l’expérience nous a rendus plus clairvoyants.

 

Par

EMMANUEL BOUTAN

 

Photographie de couverture : Robert Ford/Getty Images/iStockphoto