Thaïlande

L'effet Papilles

L'effet Papilles

La rue thaïlandaise est une pièce centrale de la vie du pays : on y travaille, on y prie et, surtout, on y mange. Et si la cuisine de rue était à elle seule un prétexte pour un voyage en Thaïlande ?

 

Rater sa correspondance pour une brochette de poulet… N’importe où ailleurs, on vous regarderait avec des yeux ronds. Pas en Thaïlande. Quiconque a déjà humé les rues de Bangkok, Chiang Mai ou Phuket compatira à l’idée qu’un dernier gai tod (poulet frit) n’a pas de prix, si modique soit-il. À toute heure du jour ou de la nuit, pour une poignée de bahts, les rues thaïes, inondées des parfums de bouillons, citronnelle, poivre, ail, piments, de grillades en tout genre, fruits de mer, riz et nouilles sautées sont un rêve de gourmets, un banquet permanent depuis l’Asie antique. Le frémissement des woks noyé dans celui de la circulation, la fumée des réchauds au charbon et, bien sûr, la mélodie de la langue thaïe entre deux grands “slurps”.

Echoppe en Thailande

Anaïs Barelli

 

La rue : le plus grand restaurant du monde

Devant les roulottes, à la lumière des néons rafistolés, se côtoient l’homme d’affaires et le chauffeur de tuk-tuk installés sur des chaises en plastique. Devant un khao tom (soupe de riz) ou l’indétrônable pad thaï (nouilles de riz sautées), les inégalités sociales fondent comme l’huile de coco au soleil. D’autant que la rue constitue pour tous les Thaïs un prolongement de leur propre cuisine. Pourquoi s’affairer aux fourneaux, seul chez soi, lorsque se tient à votre porte le plus grand restaurant du monde ? Rien qu’à Bangkok, plus d’un million de personnes travaillent dans l’une de ces gargotes. Des dizaines de milliers de tambouilles, posées à même la moto ou, pour les plus installées, entre quatre murs couverts de faïence.

 

restaurant thailandais

Anna Salvador

 

Si la street-food s’est désormais invitée sur les trottoirs de l’Occident, en Asie elle a longtemps été regardée avec une certaine méfiance sanitaire, adoptée uniquement par les baroudeurs intrépides. Désormais, certaines cantines portées au firmament voient leur liste d’attente gonfler dès le lever de rideau.

C’est le cas au 327 Maha Chai Road, dans le quartier de Samran Rat, depuis que le guide Michelin a octroyé en 2017 au Jay Fai - surnom de sa cheffe Supinya Junsuta – une étoile méritée en partie pour une divine omelette au crabe. Une première dans l’histoire de la street-food et dans les pages du très classique guide rouge qui depuis a également estampillé d’un Bib gourmand une vingtaine d’autres échoppes de Bangkok. Ajoutez à cela, une série documentaire alléchante dont la plateforme Netflix a réservé le premier opus à cette octogénaire au look de rappeuse – tenue de camouflage et beanie noir, pendentif en or et un masque de ski devenu iconique (qui protège en réalité sa cataracte des fumées de charbon) – et la petite vendeuse de nouilles s’est vue propulsée sur le devant de la scène culinaire internationale tel un Mozart du wok.

 

Supinya Junsuta

Louise Palmberg/Gallery Stock

 

On se prend alors à écumer toute la Thaïlande, cherchant des papilles le meilleur khao soy gai (curry rouge de poulet) de Chiang Mai, le plus croustillant khao tom haeng (riz au porc grillé) de Phuket, et même s’essayer aux protéines de demain : un malang tod (fritures de sauterelles, criquets et autres vers de bambou) bien poivré et bon pour la planète. Vous préférez la douceur d’un mango rice ? L’excuse est trop bonne.

 

Photographie de couverture

OLIVIER ROMANO