Au XVIe siècle, Anvers est l’épicentre européen du diamant, de l'art et de la finance, et attire marchands, artistes, et intellectuels venus du monde entier. Avec ses maisons à gradins et sa cathédrale gothique sur les bords de l’Escaut, la cité de Rubens aurait pu rester figée dans son passé glorieux. Mais avec son port tourné vers la mer du Nord, Anvers a les idées larges. Elle est un lieu d’innovation et d’ébullition créative, et l’une des scènes de la mode les plus avant-gardistes du continent. Passage obligé pour les fashionistas, la ville séduit aussi les fans d’architecture : gothique, art nouveau, brutaliste ou futuriste, les styles s’y répondent et cohabitent. Les amateurs de bonne chère ne sont pas en reste : du comptoir végétarien aux grandes tables étoilées, la ville compose une partition gourmande. Anvers est un joyau, une ville où l’on vient pour la mode et où l’on reste pour tout le reste.
Antwerp Six : naissance d'une capitale de mode
En 1988, six jeunes stylistes fraîchement diplômés de l’Académie royale des Beaux-Arts d’Anvers – Dries Van Noten, Ann Demeulemeester, Walter Van Beirendonck, Dirk Van Saene, Marina Yee et Dirk Bikkembergs – font sensation à Londres, où ils présentent leurs collections respectives lors du British Design Show. La presse anglaise les surnomme bientôt « Antwerp Six », ou les « six d’Anvers ». Ils bouleversent les codes de la mode européenne et propulsent la ville sur la carte fashion, la hissant au niveau de Londres ou de Paris. Aujourd’hui, les enseignes des « six » font partie intégrante du paysage urbain. Reconnaissable entre toutes, située dans un superbe bâtiment sur le quai Nationalestraat, l’iconique boutique de Dries Van Noten, le Het Modepaleis (« palais de la mode » en français) est un passage obligé pour les fashionistas. Un peu plus loin, la boutique de Walter Van Beirendonck s’apparente à un manifeste pop et déjanté, avec ses vitrines saturées de couleurs et ses mannequins masqués. Et le minimalisme punk d’Ann Demeulemeester s’impose dans une ancienne bâtisse blanche, dont l’atmosphère monastique, avec ses volumes épurés et ses hauts plafonds, prolonge l’esthétique radicale et poétique de la créatrice. La ville est aujourd’hui encore un laboratoire ; les créateurs émergents perpétuent l’exigence artistique de leurs aînés. Après la visite du MoMu, le musée de la Mode, on peut admirer leurs créations dans les concept stores pointus qui foisonnent dans la ville, de St. Vincents à Graanmarkt 13.
Wim BEDDEGENOODTS / REPORTERS-REA
Le design, une autre scène d'avant-garde
Dans le sillage de la révolution mode, Anvers s’impose aussi comme un haut lieu du design contemporain dès le début des années 1990, avec une nouvelle génération de designers, formée à la Design Academy d’Eindhoven ou à l’Académie royale d’Anvers, qui investit la ville. Depuis 2023, la Antwerp Design week confirme l’importance de la ville sur la scène design. Une semaine durant, la ville entière se transforme en vitrine du design belge et européen, avec des parcours fléchés dans les galeries, les boutiques, les écoles et les ateliers. Le rendez-vous réunit éditeurs, designers et architectes dans un programme d’expositions, de conférences et d’installations, de workshops et de fêtes débridées. C’est joyeux et engagé – et tout sauf conceptuel.
Une ville qui s'écrit en architecture
Anvers est un formidable concentré d’architecture. Tous les styles s’y côtoient, dans un maelström de gothique, de baroque et d'Art nouveau. Les entrepôts de brique et les maisons à gradins dialoguent avec l’élégance épurée du Museum aan de Stroom (MAS), signé Neutelings Riedijk, ou avec la radicalité de la Maison du port, signée Zaha Hadid. Inauguré en 2016, ce bâtiment emblématique surplombe les docks comme une proue de navire futuriste. Hadid a conçu un volume de verre facetté aux reflets changeants – qui évoque tout à la fois un paquebot et un diamant – comme posé en lévitation au-dessus d’une ancienne caserne du début du XXe siècle. Le contraste entre patrimoine industriel et geste avant-gardiste crée un dialogue visuel puissant. Il s’agit du dernier projet livré par la grande architecte anglo-irakienne, disparue la même année. Mais l’architecture anversoise ne se résume pas à ses icônes spectaculaires. Partout dans la ville, des projets de réhabilitation exemplaires transforment l’existant sans l’effacer : anciennes imprimeries devenues lofts, friches portuaires devenues jardins suspendus, anciennes gares devenues lieux d’exposition. Une esthétique du recyclage chic, fidèle à l’esprit pragmatique des Flamands.
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Une scène culinaire entre docks et terroirs
Anvers est un port, et cela se goûte. Dans le premier port d’Europe pour la manutention de fruits exotiques, de cacao ou de café, la scène culinaire enrichi le généreux terroir flamand de saveurs venues d’ailleurs. Dans les anciens entrepôts réhabilités des docks, les microbrasseries artisanales côtoient les caves à vins nature, les bistrots flamands réinventent la carbonnade et les tables étoilées jouent la carte du végétal ou de l’umami.
Le musée royal des Beaux-Arts
Les racines médiévales et baroques et l’inépuisable soif d’innovation d’Anvers s’incarnent au musée royal des Beaux-Arts de la ville, ou KMSKA, rouvert en 2022 après une décennie de travaux. Le bâtiment, partiellement réinventé par le cabinet KAAN, rassemble deux musées en un : une vitrine d'art moderniste et des galeries consacrées aux maîtres anciens. L’accrochage, volontairement non chronologique, juxtapose époques et esthétiques. Dalí dialogue avec Brueghel, les œuvres d’art modernes ou contemporaines viennent bousculer les classiques. Mais Rubens reste la star absolue et, dans la galerie qui lui est consacrée, les visiteurs peuvent assister en direct à la restauration du monumental retable du peintre « La Vierge trônant entourée de saints ».
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La cathédrale du rail
Construite de 1895 à 1905 à la demande du Roi Léopold II, la gare d’Anvers-Central incarne la démesure et l’élégance de l’architecture ferroviaire du tournant du siècle. C’est l’une des plus belles gares au monde – un monumental ensemble de pierre, de marbre et de verre, surmonté d'un dôme qui atteint 75 mètres de haut, inspiré par le Panthéon de Rome. Les trains à grande vitesse relient chaque jour Paris à Anvers. Alors, on voyage en train, pour aborder Anvers par la grande porte !
Par
MARION OSMONT
Photographie de couverture : Shana Van Roosbroek / Unsplash