Publié 21 avr. 2019
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Au royaume du Soleil levant, savourer à petites gorgées la reine des boissons chaudes est plus qu’un bonheur du palais, bien plus. Il s’agit d’une élévation, d’un instant de sérénité personnelle, d’une célébration des bonheurs du bouddhisme zen.
C’est bien connu, tout (ou presque) nous vient de Chine. La boussole, les feux d’artifice, le boulier, le petit livre rouge, le jeu de go… Et le thé. C’est donc là-bas que tout a commencé, lorsqu’une poignée de moines méditant à l’écart des mondes, découvrirent les vertus de ces feuilles qui poussaient en buissons sur les pentes de leur région. Mieux : après avoir cueilli les plus tendres, celles du haut, il suffisait de les infuser dans de l’eau chaude pour acquérir une sérénité droit tombée du ciel. Le premier millénaire de notre ère ne s’était même pas encore fermé.
Un peu plus tard, vers le XIIème siècle, de sages bouddhistes japonais rendent visite à leurs collègues chinois. Ils s’en reviennent avec une poignée de plans de cet arbuste aux célestes vertus, sans oublier la recette de sa félicité. Un audacieux, par ailleurs joliment inspiré, décide d’en modifier la recette. Dans sa version japonaise, Cha No Yu (« Eau chaude pour le thé »), les tendres feuilles seront non pas infusées comme en Chine, mais broyées à la meule de pierre. Le granite de préférence. Tamiser à l’aide d’une fine grille de fer puis, d’une élégante cuillère en bambou, déposer la poudre obtenue au fond de la tasse. Un peu d’eau frémissante, surtout pas bouillie !, et voici servi le thé matcha, celui des dieux, évidemment le meilleur du monde, mais celui surtout qui ouvre les porte de l’infini sagesse à qui prend soin de s’y soumettre avec l’humilité que requiert un rite initiatique.
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Au XVIème siècle, voilà que Sen No Rikyü s’en mêle. Il a beau déclarer que « Le thé n’est rien d’autre que ceci : faire chauffer de l’eau, préparer le thé, et le boire convenablement », on se tapote le menton en découvrant que ce moine bouddhiste (1522-1591) qui servit fidèlement son empereur en lui apportant son thé selon les bonnes manières, codifia l’affaire dans ses moindres détails. Détails, certes, mais sans lesquels l’instant thé ne serait qu’un aimable intermède, vite expédié entre deux affaires plus urgentes.
Or, la cérémonie du thé correctement menée peut exiger quatre heures si l’on suit les sept principes auxquels nul maître de maison ne saurait déroger. Ils sont issu du traité très thé de Sen No Rikyü : « Fais un délicieux bol de thé/Dispose le charbon de bois de façon à réchauffer l’eau/Arrange les fleurs comme elles sont dans les champs/Evoque la fraîcheur en été et la chaleur en hiver/Devance en chaque chose le temps/Prépare-toi à la pluie/Accorde à chacun de tes invités la plus grande attention » (Le Guide des thés du Japon, Valérie Douniaux, Felix Torres Ed.).
Plus clairement, au Japon, servir le thé est une pratique ultra-codifiée. Chacun de ses éléments, même les plus infimes, contribue à un tout global de très haute engeance.
D’abord, le lieu. Il est de bon ton de disposer d’un pavillon dédié, posé dans le jardin. Construction simple de bois sans aucun signe ostentatoire de richesse. Il est édifié au bout d’une allée tapissée de graviers ou de pierres blanches, bordée de massifs fleuris, d’arbres délicats, de vivaces, de plantes légères. Il peut accueillir au maximum cinq personnes. Normalement, la porte est basse, de manière à ce que chacun la franchisse en se courbant, signe premier d’humilité. Auparavant, on se sera déchaussé et les samouraïs auront laissé sabre et coutelas dehors. La paix entre tous et le respect de chacun sont de mise.
A l’intérieur, on s’assied sur des tatamis. Position agenouillé requise, fesses sur les talons, mains jointes sur les cuisses. Au-delà de la trentaine, les Occidentaux sont à la peine… C’est le moment d’échanger quelques banalités courtoises en appréciant la décoration florale, toujours sobre façon uniflore, la beauté des esquisses comme celle de la calligraphie exposée, enfin, le raffinement du kimono de l’officiante. Elle a préparé le charbon de bois, harmonieusement disposé puis installé la bouilloire de terre cuite. Voici qu’elle saisit une cuillère de bambou, la remplit de poudre de thé vert macha qu’elle verse au fond d’un bol. Simple terre cuite ou céramique laquée ornée de motifs à l’or fin. Un peu d’eau frissonnante et elle touille la préparation à l’aide d’un petit fouet de bambou avant de tendre le bol à l’invité d’honneur. Ce dernier l’observe, le fait tourner comme pour en apprécier les moindres détails puis boit une gorgée avant de passer à son voisin. Calme, beauté, partage.
Plus tard, après un service de collation, un deuxième service sera proposé avec un matcha plus en eau donc plus léger, alors servi en tasses individuelles. Prière de le savourer en deux gorgées et demie, la dernière sifflée avec aspiration sonore histoire de montrer son extase, l’hôtesse appréciera.
Entre-temps, le nettoyage du matériel, sa présentation, sa disposition, ses couleurs (laque rouge et noire pour mettre le vert vif en valeur), sa forme (bol profond en hiver pour conserver la chaleur, évasé en été afin de favoriser la fraîcheur) et son rangement obéissent également à des règles très strictes.
Jérôme Galland
Le thé matcha pousse essentiellement dans les régions de Noshio et de Uji, non loin de Kyoto. En fin de croissance, il est couvert de tapis de bambou afin qu’il la termine à l’abri du soleil. Cueilli, les dernières feuilles sont les plus tendres et les plus recherchées. Elles sont broyées à la meule de pierre ce qui leur conserve toutes leurs propriétés, en particulier leur richesse en gallocatéchine, un antioxydant vertueux, et en théanine, un acide aminé anti-stress. Voilà qui explique en partie le destin de ce thé un peu hors-normes.
Les hommes de foi avaient observé ses effets apaisants. Très vite, comme Sen No Rikyü, ils l’associèrent à leur croyance et à sa capacité à favoriser la méditation, donc la paix mentale, la sagesse et la félicité. Voici le thé matcha érigé en cérémonie capable d’élever vers un monde « d’harmonie, de respect, de pureté, de tranquillité », écrit le maître. D’où le cadre, le rituel de la préparation et du service, la décoration, le kimono, les fleurs, l’éventail, les peintures, l’encens, la musique… Sobre, simple, humble. Les bouddhistes appellent cela l’esprit zen. On dit qu’il conduit au bonheur.
Par
JEAN-PIERRE CHANIAL
Photographie de couverture
PAULINE CHARDIN
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