Australie

Outback, le dernier continent

Outback, le dernier continent

L’outback, c’est 9/10ème du territoire australien, le cœur du continent. Loin des villes et des plages, la démesure de territoires géants habités par quelques irréductibles. Arbres millénaires, canyons gigantesques, ciels électriques et lumières inédites : un voyage pour voir les choses en grand.

 

 

CENTRE ROUGE


Le vide, aussi loin que porte le regard. Le 4x4 file depuis des heures sur l’asphalte de la Stuart Highway, ciel immense bleu éblouissant, horizon infini, des centaines de kilomètres en ligne droite. Et alors que pointe la lassitude, Uluru surgit sur la plaine illimitée – silhouette massive sous un ciel électrique. Au crépuscule, dans la lumière rouge du bush, on s’installe, face au rocher-totem – les Australiens l’appellent simplement « The Rock » – le soleil sombre dans le désert, ciel rose, mauve, écarlate, une beauté obsédante. Je l’avais vu mille fois, sur toutes les affiches, cartes postales, couvertures de guides touristiques. Je l’avais rêvé longtemps, j’avais un peu peur d’être déçue : je suis aimantée au grand rocher ! Après une nuit agitée – la fébrilité d’avoir réalisé un rêve d’enfant, le souci d’être éveillée avant l’aube – le même enchantement que la veille, à voir se lever le soleil sur Uluru, dans le froid piquant du petit matin. Et sous un ciel sans nuage, nous entamons une marche, boucle de dix kilomètres autour du rocher, histoire de se confronter à l’immensité du géant. Uluru, c’est le centre géographique de l’île, c’est aussi son cœur mystique, une terre chargée. Au centre culturel du parc national, des centaines de pierres ocre : des visiteurs qui, malgré l’avertissement, sont repartis emportant avec eux un morceau de roche – ils s’en sont repentis : de retour chez eux, ils ont perdu leur job ou sont tombés malades, ils renvoient le morceau de pierre pour se défaire du sort. On ne fera pas cet affront au géant aborigène.

Parc national d'Uluru-Kata Tjuta

Tourism Australia 

On prend la route pour Kaja Tjuta, à 50 km de là, immenses étendues de terre rouge toujours, parfois troublées par les dust devils  – au pays d’Oz, on les appelle des willy willy – cyclones de poussière qui courent sur la plaine – phénomène physique ou manifestation des esprits des ancêtres ? Kaja Tjuta, les 36 dômes rouges, aux drôles de contours sculptés par l’érosion, sont sacrés – les récits qui lui sont liés sont réservés aux seuls initiés. On décide de poursuivre la route par la  Mereenie Loop, une piste en terre aborigène, pour rejoindre Kings Canyon. En chemin, on croise des colonies de dromadaires sauvages – importés pour la construction du train au XIXème siècle, ils sont maintenant un million, la surpopulation guette – mais au pays de l’entreprenariat libre, des hommes d’affaires ingénieux ont trouvé une alternative à l’éradication : l’exportation ! Au Qatar, les dromadaires aussies sont convoités pour la pureté de leur race.

Parc national d'Uluru-Kata Tjuta vu global

Tourism Australia

A Alice Springs,  soleil de plomb, rues désertes, un pub dans la rue principale : banquettes en moleskine et tables en formica, les murs sont peints de fresques au kitch pompier – des kangourous se désaltérant dans un billabong, des paysages de bush baignés d’une lumière romantique. La télé diffuse sans le son un match de cricket, la radio chante Walking on the moon. Accoudés au bar, quatre hommes, gouaille rocailleuse, santiags et chapeaux de brousse, alignent les Victoria Bitter. On s’installe à côté d’eux pour déjeuner d’un steak format XXL. Dans l’après-midi, Rex nous accueille, un python lové sur les épaules. Rex est snake catcher : « un serpent dans ton jardin ? Appelle-moi ! » Dix appels par jour, il chasse serpents bruns, serpents-tigres, taïpan et autres reptiles égarés,  pour les relâcher loin de la ville. Il a créé le Reptile Center pour informer les visiteurs sur les 900 espèces de reptiles présentes en Australie, dont « seules 14 sont mortelles », nous dit-il – nous voilà rassurés !

 

« Il ne s’agit pas seulement de dimensions et de distances, mais aussi de l’incroyable vide de ce pays. Mille kilomètres en Australie n’ont rien avoir avec mille kilomètres partout ailleurs. Et la meilleure façon de vous en rendre compte c’est de traverser le pays au niveau du sol. »

BILL BRYSON, Nos voisins du dessous.

 

 

LE TOP END


A la sortie de Darwin, Stuart Highway, eucalyptus et acacias à perte de vue. Cap vers le Kakadu – on s’engage sur une piste de poussière qui s’enfonce dans les terres d’Arnhem – plaines et marécages à l’horizon, la silhouette d’un château d’eau ou d’un motel isolé brise ça et là la monotonie du paysage. On arrive au campement, trois wallabies détalent dans la lumière rasante – un songe en cinémascope. La nuit sous la voie lactée n’est troublée que par l’envol d’un oiseau. Réveillés à l’aube, la lumière du petit matin tient de la magie. Et bientôt, la Jeep pique dans le bush, s’enfonce dans les herbes hautes, contourne les termitières géantes. Un sous-bois d’eucalyptus, des prairies herbeuses où paressent des buffles sauvages, et on embarque sur les billabongs – un crocodile endormi sur le sable, la salve de cris stridents des cacatoès,… une colonie de canards sauvages nous survole. Plus loin, on grimpe le long d’un sentier – sur la paroi rocheuse, des empreintes de mains marquées au pochoir il y a quelques milliers d’années. Et la grande plaine vide qui court à l’infini.

Parc national de Kakadu

Thierry Dudoit/EXPRESS-REA

 

LES KIMBERLEYS

 

La Gibb River Road, c’est 700 kilomètres de piste de poussière rouge, qu’on emprunte en 4x4 – de baobab en baobables kilomètres défilent, pas âme qui vive à l’horizon. Au loin, le ciel rougeoie des feux allumés par les Aborigènes pour réduire la végétation et circoncire les risques de feux de brousse. Après 4 heures de route, secoués dans le 4x4, le plaisir inouï de boire un café dans une road house posée au milieu de nulle part – on se croirait dans Bagdad Café ! A Purnululu, l’accès au parc est sportif : 50 km de piste façon montagnes russes (parcourus en 2 h 30) mais les formations géologiques sont complétement dingues ! On dort en campement sous un ciel blanc d’étoiles, la nuit bruisse des chants des oiseaux insomniaques. Au lever du jour, un craquement non loin de la tente,  c’est un kangourou, non, ce sont deux, trois, … vingt kangourous !

LES KIMBERLEYS

Droits réservés

 

LES FLINDERS RANGES

 

Partis ce matin d’Adelaïde – une route désespérément droite, parcourue à tombeau ouvert par des road trains tout droit sortis de Mad Max. Les prairies succèdent aux prairies, les moutons aux moutons, et des vignes à perte de vue. Au fil des kilomètres, pourtant, le paysage change insensiblement, et peu à peu les terres cultivées laissent place à la poussière rouge et aux eucalyptus géants. Un stop à Parachilna – à l’échelle de South Australia, c’est un village : on y trouve de la nourriture, de la bière et de l’essence ! Au Prairie motel (prononcez « preury »), deux filles aux cheveux décolorés entament une partie de billard au son d’un juke-box enroué. Le menu est exotique : viande de dromadaire, terrine d’émeu ou encore jarret de wallaby – on opte pour le steak de kangourou au confit de myrtilles, arrosé d’un excellent Syrah de la Barossa Valley – proximité oblige. On reprend la route, et dans cette contrée rude, où les bergers se déplacent en avion pour surveiller leurs troupeaux gigantesques, les falaises de grès rose des Flinders Ranges nous apparaissent bientôt, tels une oasis du désert.

Flinders Range

BenGoode/Getty Images/iStockphoto 


LA TASMANIE

 

Hobart, capitale du plus petit des états australiens, au bout du monde. Au sommet d’une colline, à Battery Point, s’alignent les maisons de bois colorées et leurs jardins de roses anciennes. En contrebas, la baie scintillante s’émaille de voiliers, de navires en provenance du continent, et de bateaux en partance pour les glaces du Sud : située au-delà des quarantièmes rugissants, Hobart est le port d’attache des missions scientifiques internationales pour leur traversée vers l’Antarctique. La notre, de traversée, nous mène, à quelques heures de voiture, à Launceston, au nord de l’île. Après une nuit de repos et un solide petit déjeuner, nous partons à travers la forêt primaire, guidés par des rangers aux larges mollets et à la peau tannée. Plateaux arides, sommets aux arêtes découpées par l’érosion, gorges profondes, lacs glaciaires, fjords, arbres géants et fougères arborescentes : pendant les trois jours qui suivent, le parc national de Cradle Mountain dévoile une nature primitive, comme intacte. Ivre de paysages, on a le sentiment de marcher sur une terre vierge. C’est comme si on avait fait un bond de 70 millions d’années en arrière, pour revenir aux origines du monde. Pas de tyrannosaures, mais des ornithorynques et des opossums, tout de même ! Le retour à la civilisation risque d’être rude – mais on se souviendra longtemps de ces nuances de vert à l’infini.

TASMANIE et grands espaces d'australie

Strahan Village

 

PORTRAIT | TALIA, FLYING ANGEL DE L’OUTBACK

A territoire hors-norme, profession hors-norme : Talia, 24 ans, est pilote du bush. Sa base : William Creek, South Australia –une station essence, deux motels, un pub, 9 habitants. Dans cette zone à la densité de population parmi les plus basses du monde (proche de celle de l’Antarctique !), les pilotes sont indispensables. Ce matin, Talia a rapatrié une femme et ses enfants évacués de leur ranch après une inondation. Convoyer des passagers en cas d’urgence médicale ; assurer le transport postal pour les ranchers isolés ; acheminer les mineurs jusqu’à Cooder Pedy ; seconder les éleveurs pour le mustering (quand les cheptels sont constitués de milliers de têtes, le regroupement du bétail se fait par avion !) : un métier qui nécessite un certain nombre d’heures de vol au compteur (savoir atterrir sur une piste du désert n’est pas donné à tout pilote !) et un caractère solide, pour vivre au milieu de nulle part. Pour les pilotes, peu de loisirs, à part le pub – « pas forcément pour passer la journée à boire » (on est rassuré) « mais pour se détendre dans l’un des spots les plus emblématiques de l’outback ». Malgré l’isolement, Talia ne cèderait sa place pour rien au monde : « qui n’aimerait pas ce job ?  Il y a deux ans, après trois saisons, je disais « c’est la dernière année que je travaille ici », …  je suis toujours là ! »

 

Photographie de couverture : James Fisher / Tourism Australia