Voyage responsable

Être voyagiste écologiste n’est pas un oxymore

Être voyagiste écologiste n’est pas un oxymore

Jean-François Rial s’exprime sur le voyage et le respect de la planète dans le podcast de Mathilde Garden, Carton Vert, pour le magazine Le Point.

 

Bien que le secteur du tourisme et du voyage ne soit pas en grande forme, Voyageurs du Monde se porte plutôt bien. L’agence de voyage spécialiste du voyage sur mesure compte en effet 450 salariés et a successivement enregistré une marge de 15% en 2018 et de 3% en 2019. Pourtant, le transport aérien est aujourd’hui pointé du doigt par les écologistes et même si l’avion ne représente que 3% des émissions de CO2, il est de loin le moyen de transport le plus polluant en terme d’émissions par voyageur et par kilomètre. N’y a-t-il pas donc une contradiction entre être voyagiste et écologiste ? Voyageurs du Monde prouve que non, en garantissant des voyages zéro carbone. Concrètement, toutes les émissions de CO2 générées par le voyage aérien sont absorbées à 100% en plantant des arbres, à un rythme de 4 000 par jour. Rencontre avec Jean-François Rial, PDG de Voyageurs du Monde, un entrepreneur convaincu que voyager au bout du monde en respectant la planète est tout à fait possible.

 

Un entrepreneur social au service de la planète

« Je ne suis pas un écologiste naturel. Je suis plutôt un entrepreneur social. J’ai une sensibilité sociale très forte : intéresser les salariés, les motiver, leur reverser une grande part d’intéressement », révèle Jean-François Rial, PDG de Voyageurs du Monde. Après avoir dirigé une entreprise de conseil financier pendant une dizaine d’années, il explique que c’est suite à un voyage initiatique et solitaire à travers le Sahara, qu’il décide d’entreprendre dans sa passion de toujours : le voyage. « L’écologie, j’y suis venu par l’apprentissage et par la raison. Ca a commencé il y a une dizaine d’années. J’ai beaucoup lu et j’ai bien vu qu’on allait dans le mur. J’ai aussi vu que les écologistes n’étaient pas que des « ayatolesques » qui voulaient nous renvoyer dans les grottes », poursuit-il.

 

Etre un voyagiste écologiste n’est pas un oxymore

« Un voyagiste écologiste, c’est quelqu’un qui prend en considération l’ensemble des conséquences écologiques de son activité sur le terrain », définit Jean-François Rial. Pour lui, il s’agit d’éviter de travailler avec des gens « qui font n’importe quoi avec la gestion de la biosphère et de la biodiversité ». Mais au-delà, le problème majeur reste l’avion et le CO2. Il révèle donc la politique très précise de Voyageurs du Monde sur le sujet : « La spécificité de notre proposition consiste d’abord à rentrer dans le cadre de ce qu’a fixé le GIEC - Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat -. Pour éviter de réchauffer la planète de plus de 1,5°C, il faut diminuer nos émissions de 50% d’ici 2030 et de 100% d’ici 2050. Il n’y a donc pas 50 solutions mais deux ! La  première, c’est tout simplement de ne plus prendre l'avion. La deuxième consiste à considérer que l’avion est utile socialement, économiquement en créant notamment des emplois, et qu’il sert  à rapprocher les peuples et à favoriser la paix entre les hommes ».

Plantation au Sénégal

 

Planter des arbres, augmenter l’efficacité énergétique et financer la transition

« Donc vous continuez à voyager en avion parce que vous avez une vraie utilité sociale et vous annihilez vos émissions de carbone en plantant des arbres », poursuit Jean-François Rial avant de préciser que la plantation d’arbres n’est en aucun cas la solution unique : « Vous devez aussi pousser à l’augmentation de l’efficacité énergétique et financer la transition. Si vous plantez des arbres et si vous n’êtes pas capable de mettre en place et de financer la transition, ça ne sert à rien », argumente-t-il avant de d’expliquer comment Voyageurs du Monde s’y est pris : « Il y a une dizaine d’années, quand on a décidé de neutraliser l’impact des émissions de CO2 de l’industrie touristique et particulièrement du transport aérien, on a créé la fondation Insolite Bâtisseur Philippe Romero. Grâce aux apports financiers des différentes marques du groupe, cette dernière finance des projets de plantations de mangroves en Inde et en Indonésie pour absorber le CO2 » . Jean-François Rial ajoute que ces projets sont additionnels dans le sens où ils n’auraient jamais été financés si la fondation ne l’avait pas fait. Il insiste aussi sur la pérennité de ces derniers et revient sur la différence entre l’absorption et la compensation : « Nos projets sont directs et identifiés. Ils ne passent par par un marché de crédits carbone tels que la compensation, il s’agit d’absorption ». Il dévoile également d’autres actions écologiques menées par Voyageurs du Monde, notamment celles de passer le parc automobile des safaris en tout électrique, tout comme le bateau de croisière de Voyageurs du Monde sur le lac Nasser. « Mais là on n’est plus dans l’absorption mais dans la réduction et c’est marginal. Le vrai sujet c’est l’avion », souligne-t-il à nouveau.

 

Transformer son business

Mathilde Gardin mentionne l’ADEME - l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l’Energie -, le bilan carbone et l’aide que cette agence peut fournir aux entreprises. « C’est le premier pas de ce qu’il faut faire mais il faut aller plus loin Il ne faut plus faire des projets verts à côté de son business, mais transformer ce dernier », enchaîne Jean-François Rial. Mathilde Gardin voit une contradiction dans ses propos. Jean-François Rial acquiesce : « Oui mais pour nous, c’est la seule solution à part ne pas voyager en avion ».

 

Agir sans intérêts économiques

« Pour certains entrepreneurs, être écologiste présente des intérêts économiques, mais pour nous, il n’y en a pas », affirme Jean-François Rial avant d’ajouter que « cette affaire nous coûte quand même un million et demi d’euros par an ». Même si Mathilde Gardin précise que cette somme ne représenter que de 0,2 % du chiffre d’affaires, Jean-François Rial répond en précisant qu’il s’agit quasiment de 5 % du résultat. « Dans le voyage, on ne gagne pas très bien sa vie sur son chiffre d’affaires », argumente-t-il avant de revenir sur l’intérêt d’être un voyagiste écologiste : « Dans le voyage, il n’y a pas d’intérêt économique à être écologiste. Il y en aurait s’il y avait un vrai impact marketing mais ce n’est pas encore le cas. Il faut donc faire de l’écologie par conviction et voir aussi un peu plus loin que le bout de son nez. Si des collaborateurs ne viennent plus vers vous parce que vous n’êtes pas un voyagiste écologiste, ça va poser problème ».

homme sur une barque en indonésie

 

« On propose, le client dispose »

Quant aux clients de Voyageurs du Monde, Jean-François Rial résume leurs réactions au fil des dix dernières années : « Cela fait dix ans qu’on fait de l’écologie. Cela fait 9 ans que nos clients estiment que c’est vachement bien qu’on le fasse tout en s’en fichant. Et cela fait un an qu’ils nous posent des questions du type : qu’est-ce que vous faites ? Combien j’ai émis ? Combien d’arbres j’ai planté »… Mathilde Gardin rebondit sur le sujet en demandant si Voyageurs du Monde cède à toutes leurs demandes, par exemple sur le choix d’un transfert en avion Le Cap- Johannesburg plutôt qu’en train ou en voiture. « On les laisse faire, répond Jean-François Rial, car on n’est pas là pour être des directeurs de conscience. Le sujet n’est pas là pour moi : il s’agit de neutraliser leurs émissions ». Il précise toutefois que pour des voyages en France ou en Europe, Voyageurs du Monde va proposer en priorité les transports les plus verts. « Mais nous ne décidons pas, nous proposons, ils disposent, surenchérit Jean-François Rial, on n’interdit rien mais on ne propose plus des voyages de trois jours à New York ou quatre jours à Rio comme on le faisait encore il y a une quinzaine d’années ». Mathilde Gardin demande ensuite si les clients seraient prêts à payer plus cher des voyages plus éco-responsables, notamment chez une clientèle aisée qui se donnerait bonne conscience. Selon Jean-François Rial, il s’agit d’une idée fausse. Pour lui, « les populations aisées ne sont pas assez écologistes donc ça ne leur fait rien du tout de s’acheter une bonne conscience ». Quant à la promotion du voyage éco-responsable comme levier de marketing, il estime qu’il peut le devenir mais qu’on en est pas là. « Ce que j’espère c’est que me confrères proposent des voyages éco-responsables. Du coup, ce ne sera plus un levier de marketing car tout le monde le fera » !

 

Puis Jean-François Rial revient sur l’avion : « Je suis convaincu qu’il y a une voie pour l’industrie aérienne qui consiste à réduire son impact au kilomètre par l'efficacité énergétique, le financement de la transition et par l’absorption. Je trouve ça totalement cohérent ». Il donne ensuite l’exemple d’Air France : « Ils trouvaient que j’allais trop loin, que j’étais un peu « ayatolesque ».. Et bien, au final, ils ont pris des dispositions magnifiques et très proches des nôtres. Ce qui montre que c’est le sens de l’histoire. Je les salue car c’est la première compagnie aérienne qui a pour objectifs de réduire ses émissions de carbone de 50% sur 100% de ses vols d’ici 2030 ». Il encourage d’ailleurs fortement les consommateurs à les privilégier. Pour lui, il s’agit d’une compagnie qui prend ses responsabilités « au-delà de la taxe carbone du gouvernement qui n’a aucun intérêt car elle n’absorbe aucun CO2. Intellectuellement, fiscalement, écologiquement, cette mesure est idiote »…

 

Le projet Contribution Planète

En guide de conclusion, Jean-François Rial propose de généraliser ce qu’il a mis en place chez Voyageurs du Monde. Son projet porte le nom de Contribution Planète et a déjà été présenté dans une tribune du journal Le Monde en avril 2019. Ce plan d’action pour le transport aérien prévoit d’absorber toutes les émissions anthropiques de C02 et de financer directement la transition écologique. Après avoir longtemps prêché dans le désert, Jean-François Rial semble enfin avoir fait mouche dans un secteur attendu au tournant.

 

Photographie de couverture 

Frédéric Stucin