France

Le tour de France littéraire de Frédéric Beigbeder

Le tour de France littéraire de Frédéric Beigbeder

Visiter la France par ses routes, ses monuments, ses vins et ses fromages ? Déjà-vu. Le facétieux et érudit Frédéric Beigbeder, auteur d’Un roman français, nous propose une cartographie des écrivains les plus emblématiques de l’Hexagone. Tour de France littéraire pour lecteurs de paysages.

Il est très compliqué de visiter la France quand on est français. Le citoyen français est paradoxal : trop patriote pour admettre d’être un touriste en son propre pays, trop snob pour fréquenter les parcours balisés par les guides. Une solution à cet épineux problème serait peut-être de suivre la géographie des écrivains plutôt que de tomber dans les panneaux indicateurs. La littérature nationale fournit des chemins de traverse, des descriptions originales et des destins régionaux qui permettent au visiteur du terroir de se muer en lecteur de paysages. Je vous propose un tour de France littéraire, non par les routes et les monuments, mais par les romans et leurs auteurs.

En France, où il y a encore plus d’écrivains que de fromages, notre vagabondage commencera évidemment par Bordeaux, la résidence de Montaigne et Mauriac. Le sudouest est une terre fertile en littérature, et pas seulement à cause des vignobles. Nous vous suggérons une bonne descente d’Aquitaine du nord au sud. Il faudra démarrer au château de Montaigne, où l’on visite la chambre à coucher de l’ancien maire de Bordeaux ainsi que sa chapelle, mais aussi pénétrer le château Malagar où le vieux Mauriac écrivit cette merveille : “Le bonheur, c’est d’être cerné de mille désirs, d’entendre autour de soi craquer les branches.” Dominant la Garonne, il y a des pins partout. Il y en a aussi beaucoup sur la route qui descend vers l’Espagne. Un crochet s’impose par le Béarn avant d’arriver dans mon village de pêcheurs pour y réciter du Paul-Jean Toulet, né à Pau et enterré à l’église de Guéthary : “Me rendras-tu, rivage basque,/Avec l’heur envolé/ Et tes danses dans l’air salé,/Deux yeux, clairs sous le masque.”

Après une nuit agitée par la digestion du foie gras et de la txuleta (côte de bœuf en basque), on pourra repartir en direction du sud-est. La Provence a si bien été racontée par Giono, Daudet et Pagnol que trois escales seront obligatoires : Manosque, Fontvieille et Marseille. À Manosque, les toits du hussard offrent une perspective idéale pour survivre au choléra et tomber amoureux. “Il n’y a pas de Provence. Qui l’aime aime le monde ou n’aime rien” – Giono. Le moulin d’où les lettres d’Alphonse furent envoyées existe toujours, ses pales tournent lentement pour faire joli, et abritent un musée sérieux. Quant à Pagnol, son fantôme habite le parc Borély ou les bastides entre Aubagne et Aix. Mais vous n’êtes pas obligé de gueuler “Manon” dans la garrigue pour prouver votre cinéphilie. Quand on ne peut pas descendre plus bas, il faut remonter, par exemple chez Rousseau à Chambéry ou chez Voltaire à Ferney. Les deux frères ennemis se font toujours concurrence. Mais on peut cumuler les visites. La maison des Charmettes est décrite dans les Confessions : “Entre deux coteaux assez élevés est un petit vallon nord et sud au fond duquel coule une rigole entre des cailloux et des arbres.” On se croirait en Suisse mais le coin s’appelle la Savoie. L’endroit où Voltaire cultivait son jardin est plus proche de Genève : le château de Ferney-Voltaire mérite le détour. La nièce de Voltaire y a organisé de belles teufs avec banquets et feux d’artifice. Le vieux mécréant y fit même construire une église – on ne sait jamais.

Après cet air pur révolutionnaire, redescendons en Bourgogne, chez Madame Colette. On aurait pu lui présenter des hommages à Saint-Trop, mais c’eût été trop bling-bling. Le musée de Saint-Sauveur-en-Puisaye possède un charme supérieur, même si la maison natale de l’écrivaine ne se visite pas. Peu d’auteurs dans la littérature française ont aussi joliment mélangé les filles et les fruits, les fleurs, les animaux avec les enfants, dans une charmante ratatouille qui ressemble au bonheur de vivre. Personnellement, je ne passe jamais en Bourgogne sans boire beaucoup de vin blanc et relire Sido : “Au fond des bois clairsemés, rougis de flaques de bruyère.” (Il est important de réciter cette phrase en roulant les “r”.)

Ensuite, nous éviterons Paris qui nécessiterait un autre texte (sur Balzac rue Raynouard, Hugo place des Vosges, et Breton place Dauphine, dont la forme triangulaire évoque un sexe féminin). Dirigeons-nous vers le Nord, pour respirer le même air que Bernanos en pays d’Artois, car Dany Boon n’a pas fait oublier ses curés coupables et ses “sentiers pourrissant sous la pluie de novembre” (Les grands cimetières sous la lune). Certes, il y a plus fun, mais l’avantage du Nord sombre et boueux, c’est l’absence d’encombrements. Par rapport au Mont-Saint-Michel, c’est plus calme. Il faut aimer la brume extérieure et la chaleur interne. C’est tout de même préférable aux foules de crétins en bermuda et tongs Havaianas.

“Personnellement, je ne passe jamais en Bourgogne sans boire beaucoup de vin blanc et relire Sido

Après le Nord, on redescendra vers la gauche, pardon l’Ouest. En Normandie, nous emménageons chez Proust et Flaubert. Sur le chemin, une ville a même changé de nom pour exploiter la nostalgie de Combray (Illiers), mais visiter l’ermitage de Croisset est plus sobre, le nec plus ultra restant une excursion à Rouen pour s’identifier à la Bovary. Ou bien une madeleine au Grand Hôtel de Cabourg si l’on apprécie les stéréotypes : l’établissement a même baptisé son restaurant Balbec. Les grands écrivains rebaptisent la France. Allez savoir, peut-être qu’un jour un bourg portera mon nom ? J’espère qu’il y aura un bar fréquentable (pardon pour cet accès de mégalomanie).

Autre possibilité, sublime, forcément sublime : un bal au casino de Trouville pour imiter Marguerite Duras. L’ivresse est alors recommandée. Si votre amant danse avec une autre femme, vous avez gagné : vous êtes Lol V. Stein, l’anti-Bovary, la cocue épanouie. Désolé : les adresses de clubs échangistes normands ne seront pas fournies dans ce magazine de haute tenue.

Ce tour de France littéraire se devait de finir en apothéose, c’est-à-dire chez Chateaubriand, en Bretagne, l’écrivain des envolées lyriques et des cheveux au vent. Sans lui manquer de respect comme Jean-Paul Sartre qui alla uriner sur sa tombe sur l’îlot du Grand Bé, au large de Saint-Malo (qui pourtant ne se visite qu’à marée basse), nous vous proposons de déambuler en son château de Combourg, l’adresse favorite de Jean d’Ormesson et des alouettes qui chantent sur la lande et les fougères. Un jour, j’écrirai un roman intitulé L’Urgence des fougères. Il parlera de ma nouvelle vie. Il sera très ennuyeux. Dieu soit loué ! Par manque de place, nous avons négligé de nombreuses étapes incontournables : la délirante maison de Pierre Loti – à la fois mosquée et pagode – qui vient d’être restaurée à Rochefort, l’Auvergne chère à Vialatte, et le bonheur de Barbezieux si sensiblement décortiqué par Chardonne. Il faut garder des promenades pour nos vieux jours. Nous espérons que vous avez effectué un agréable voyage dans le temps et surtout parmi les livres français, qui confèrent à notre pays plus de beauté et de grandeur que n’importe quel cliché posté sur Instagram.

 

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Par

FREDERIC BEIGBEDER