Iran

La perse dévoilée

La perse dévoilée

Les bas-reliefs de Persépolis, les tours du silence zoroastriennes, les palais et les mosquées, les jardins et les vergers. Et une jeunesse frondeuse, avide de liberté : derrière le voile de la république islamique, une des plus riches civilisations au monde, au passé et au présent.

 

Téhéran

Grappes d’immeubles hauts, anciens quartiers grignotés par les ponts aériens, rues encombrées de voitures. Plongeant au cœur du chaos, l’avenue Vali Asr, plantée de grands sycomores, traverse la ville du nord au sud ; et du sud de Téhéran aux quartiers riches à l’ombre des monts Alborz, on observe les mille et une façons qu’ont les femmes d’interpréter le code vestimentaire qui leur est imposé par la loi : hidjab, foulard couvrant les cheveux et manteau cachant les jambes jusqu’à mi-cuisse. Au sud, les tchadors noirs sont de mise ; plus on progresse vers le nord, plus le manteau est porté court et ajusté, plus le voile est coloré, lâche, et laisse échapper des mèches de cheveux rebelles. C’est un jeu tout en subtilité : contourner la loi sans l’enfreindre ; c’est une belle leçon de style : voile léger, imprimé léopard ou géométrique, retenu en arrière par des lunettes de soleil griffées ou portées à la Grace Kelly, maquillage sophistiqué, tenues stylées, du manteau oversize aux derbys métallisés, les modeuses des quartiers nord rivalisent d’inventivité – une créativité qui semble renforcée par les interdits.

Leur élégance est un joli pied de nez aux religieux et aux conservateurs de tout poil. Et sur les murs de la ville, partout, du nord au sud, les œuvres des graffeurs comme contrepoint aux omniprésentes peintures officielles, portraits géants de Khomeiny et Khamenei, ou allégories à la gloire des martyrs de la guerre Iran-Irak. Entre engagement politique et humour, les graffeurs érigent les murs de Téhéran en un espace de liberté, loin de la censure. Emancipation des femmes, chômage et restrictions dues à l’embargo, solidarité avec les Kurdes en lutte contre l’Etat Islamique : collant à l’actualité, les grandes questions sociales et politiques s’exposent. Des dessins explicites, des écrits en anglais, pour la grande joie du visiteur étranger.

 

Kashan

Oasis aux portes du désert, qui fut la plus riche d’Iran, ce sont des dessins d’un tout autre genre que l’on admire, ceux des fresques des palais, qui témoignent du faste passé. Et sur les hauteurs de Sialk, les archéologues fouillent les vestiges d’un des premiers foyers de civilisation de l’humanité. Sur la route pour Yazd, les maisons de brique rouge d’Abyaneh s’étagent sur les flancs escarpés de la vallée – en ces terres zoroastriennes, le temple du feu date de l’époque sassanide. Ici aussi indifférentes aux prêches des mollahs, les femmes portent toujours, en lieu et place du hijab réglementaire, de longues étoles blanches, légères, brodées de grandes fleurs rouges.

Reconnue par l’Unesco comme l’une des plus anciennes villes au monde, Yazd, à la charnière entre deux déserts, se protège de trop de chaleur par une architecture originale, simple et savante à la fois, et basée sur la maîtrise de trois des quatre éléments. Terre : pisé des maisons à toit plat, et des yakhsâl aux dômes lunaires, anciennes glacières à l’usage des caravaniers faisant halte dans la cité. Eau : les 3 000 qanât, canalisations datant de l’Antiquité, drainent toujours l’eau des massifs de Shir-kouh pour irriguer la ville. Air : les bagdir (littéralement attrape-vent) hautes tourelles à claire-voie, capturent l’air frais pour le diriger vers les bassins sous-terrain – et rafraîchir l’air distribué vers les différentes pièces de la maison. Le quatrième élément aussi est présent : la même flamme brûle depuis plus de 1 500 ans dans l’âtâshkadeh, l’ancien temple : asile des soufis et des savants, la ville fut aussi, au temps des invasions arabes, le refuge des zoroastriens.

 

Shiraz

C’est la ville des roses et des rossignols, c’est aussi celle des poètes Saadi (1207-1291) et Hafez (1324-1389), « celui qui ne peut chanter une poésie n’est pas un Iranien » prévient un proverbe, pour dire l’importance de cet héritage dans un pays où les vers des poètes du XIIIe siècle sont enseignés dès l’école maternelle. Splendides mosquées, jardins à l’ombre des orangers, … les Iraniens viennent ici en foule pour se recueillir sur le mausolée du poète Hafez – à qui ils confient leurs soucis et leurs peines de cœur. Des vieux sages monnayent leur interprétation des vers du poète, inscrits sur des petits papiers pliés, que l’on tire au hasard : « Hafez nous aide à prendre les bonnes décisions ».

A une heure de route, escaliers monumentaux, colonnades plantées solitaires vers le ciel, peuples pétrifiés sur les bas-reliefs : Persépolis, antique cité des rois achéménides – un choc esthétique. A sa prise de pouvoir, Khomeiny avait condamné « l’idolâtrie », et un de ces ayatollahs, Sadeq Khalkhali, affrété des bulldozers pour raser le site : les bulldozers ont été chassés à coups de pierres par les habitants protégeant leur patrimoine – et aujourd’hui, le gouvernement a mis en place un programme de protection du site. Persépolis, c’est aussi un musée d’ethnologie à ciel ouvert : toutes les nations du monde connu des Perses sont représentées sur ses bas-relief, qui renseignent sur la vie il y a vingt-cinq siècles. Un peu plus loin, la nécropole des achéménides, Naqsh-e Rostam, une autre vallée des Rois – les grands tombeaux cruciformes de Darius et Xerxès se dressent à flanc de falaise, creusés dans la roche.

 

Ispahan

« La moitié du monde », la plus belle cité du pays – au XVIIe siècle, Chah Abbas le magnifique en fit sa capitale, fantasmée par tout l’Occident – une ville verte aux coupoles azur,  riche de 180 caravansérails et de 200 mosquées. Place de l’Imam, quadrilatère aux folles dimensions, la vue est happée par le bleu des mosquées ; les arabesques magiques de la mosquée Cheikh Lotfollah racontent l’ombre et la lumière du soufisme ; au Palais Ali Qapu, on admire les alvéoles acoustiques du salon de musique, et les fresques et miniature qui racontent l’histoire de la ville. Ispahan, c’est aussi son quartier arménien, Jolfa, que l’on rejoint par Si-o-Seh Pol, le pont à 33 arches qui surplombe le fleuve Zayandeh-rud  où vivent 7 000 chrétiens (saviez-vous que l’Iran est l’un des premiers pays à avoir reconnu le génocide arménien ?) – les églises et la cathédrale aux sublimes fresques illustrant la vie de saint Grégoire, les terrasses à l’ombre des platanes, où l’on boit du vrai café turc : tout ici exalte un charme désuet.

 

  La « moitié du monde »,  la plus belle cité du pays

 

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Isabelle Eshraghi/Agence VU